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Accueil//Chroniques du Tchad
Nouvelles de 2002 25/08/2005 - Lu 1307 fois


Abéché, le 3 septembre 2002
La petite histoire de Mahamat

Mahamat est un petit orphelin de trois ans que sa tante nous a amené un jour parce qu'il est continuellement malade. Sa maman est décédée deux mois auparavant et c'est sa soeur qui est allée chercher ce neveu pour l'adopter comme son propre enfant. Très vite, nous avons réalisé son état de santé préoccupant et donné des conseils d'alimentation à la tante. 


Mais Mahamat ne prenait pas de poids et il a fallu l'hospitaliser à la pouponnière. Comme il est assez grand pour comprendre, nous lui expliquons ce que nous allons lui faire et lui demandons de ne pas arracher la sonde gastrique que nous lui poserons. Mahamat nous regarde de ses grands yeux interrogateurs mais ne semble pas approuver. Pourtant il a bien compris et semble décidé à collaborer, même si ce n'est pas agréable. Après quelques jours de nourriture par la sonde, Mahamat semble revivre et il a de nouveau envie de manger. A cinq heures du matin, on entend hurler de colère le petit Mahamat qui réclame des arachides. Alors sa tante envoie sa grande fille à la boutique du coin pour acheter des arachides que Mahamat avale goulûment en un rien de temps. Puis sa tante lui prépare du riz et, là encore, il mange, il mange, il mange, comme s'il voulait rattraper ce qu'il n'a pas mangé dans le passé. Il faut préciser qu'à trois ans, Mahamat ne pesait que 6,3 kg à son admission et n'avait que la peau et les os. Peu à peu, il reprend du poids, il commence à jouer, il n'a plus peur de venir vers nous.

Après deux semaines, Mahamat a pris 1,5kg et nous sommes très reconnaissantes. Sa tante s'investit beaucoup et s'occupe bien de lui, elle lui prépare la nourriture qu'il aime, en plus de la bouillie qu'il reçoit chez nous. Et puis, un jour, la diarrhée reprend et le poids recommence à chuter. Malgré tous les traitements, nous n'arrivons pas à juguler la situation. Nous arrivions tout juste à maintenir son poids. Et après plusieurs semaines, la situation ne changeait toujours pas. Alors, nous avons dû nous résoudre à laisser rentrer Mahamat et sa famille à la maison, et sa tante continue à bien le soigner, elle arrive aussi à maintenir son poids et fait de son mieux pour le bien de son neveu. Nous nous sommes demandés pourquoi sa maladie n'a pas cessée; nous soupçonnons qu'il est atteint de sida sans pourtant pouvoir le confirmer. 


Le 11 juin 2002 Fatimé et Halimé

Une heure à peine après que la maman a accouché à la maison, des membres de la famille nous amènent deux petites filles prématurées de 7 mois et pesant 1300 g. Elles sont toutes petites et semblent bien immatures, mais comme elles sont venues rapidement, elles n'ont pas trop froid (cette saison chaude aide bien aussi !) et nous nous empressons de bien les emballer et de les mettre dans la couveuse en attendant que la maman vienne rejoindre ses petites. La maman arrive le soir, nous lui expliquons combien il est important que les filles aient du lait maternel, et toute la famille explique à Hourra ce qu'il faut faire. Il faut dire que malgré ses presque vingt ans Hourra, la maman des jumelles ne parle pas un mot d'arabe, s'exprimant uniquement dans la langue de sa région d'où elle est arrivée récemment. Alors, une femme de la famille reste à côté d'elle pour lui traduire nos consignes, et nous essayons de nous faire comprendre avec force gestes et grimaces ! Les premiers jours, tant la maman que les bébés dorment presque toute la journée, les petites recevant toutes les heures par la sonde du lait que leur maman a tiré. Et jour après jour, nous observons leur évolution, encore bien lente. Elles respirent bien, mais ont d'abord perdu beaucoup de poids, diminuant jusqu'à 1050 gr ! Ensuite, elles reprennent à peine 10gr par jour ! A ce rythme-là, ça risque de durer longtemps… Le huitième jour, c'est la fête du nom ; de nombreux invités viennent à la maison, un bon repas est préparé pour eux et tout le monde se réjouit. Elles s'appelleront Fatimé et Halimé, même si ces noms ne conviennent pas à la maman, mais a-t-elle même été consultée ?
On dirait qu'elles s'accrochent à la vie, ces petites ! Chacune dans sa couveuse, elles commencent à manifester leur caractère : de temps à autre, l'une d'elles se met à crier et ne se calme que lorsque la maman la prend dans ses bras. Celle-ci est encore bien hésitante au début, elle n'ose pas trop toucher " ces petites choses " et a besoin d'ête encouragée. Mais bien vite, elle s'habitue et réalise que ses filles se calment dans ses bras. Et même parfois, elles tournent la tête et cherchent le sein ! Alors Hourra essaie de les allaiter ; bien sûr, Halimé et Fatimé n'ont pas encore beaucoup de force pour têter, mais c'est quand-même un bon début. 
Et petit à petit, elles commencent à prendre un peu plus de poids, à être plus vigoureuses. 
Un mois et demi après leur naissance, elle ont presque deux kilos, et sont en pleine forme. La maman aussi a bien récupéré et un soir, en allant la visiter, j'entends de la musique bien rythmée : arrivée à sa chambre, le spectacle s'offrant à mes yeux est hilarant : Hourra est en train de danser au son de la musique avec sa cousine, les deux petites sont allongées sur la natte, les yeux grand ouverts, et semblent apprécier cela ! 
Depuis deux semaines maintenant, Fatimé et Halimé sont à la maison avec leur maman, et continuent à bien aller. Entre temps, leur maman a même commencé à apprendre l'arabe et la communication est maintenant plus facile avec elle. Et à peine deux jours après leur sortie de la pouponnière, une autre petite prématurée est venue prendre leur place, on ne s'ennuie donc pas à Bakan Assalam !


Abéché, le 18 Avril 2002

Chère Mary-Elen et tous les amis de RAD,

Alors qu'il vous faut peut-être du chauffage ce soir, ici, la saison
chaude est bien entamée et la plupart de l'équipe a "déménagé" maintenant pour dormir dehors. Les journées sont bien chaudes, le thermomètre monte facilement au-dessus de 40° (jusqu'à 42° et même 45°!) et durant les nuits, ça "redescend" aux alentours de 30°. Alors, c'est vrai qu'on a nettement moins d'énergie mais néanmoins tout autant de plaisir à travailler avec les orphelins.
Une partie du container vient d'arriver il y a quelques jours et nous sommes très reconnaissants d'avoir eu l'autorisation d'acheminer ce lait, ces médicaments par la base militaire; nous pouvons faire monter ces 7 tonnes par tranches de 500kg et espérons que tout sera là avant la saison des pluies.
Hier, avec Carmen, nous avons commencé à déballer les cartons de médicaments (un inventaire vous parviendra ultérieurement) et cela tombe à pic car nous sommes en rupture de stock pour certains produits. Une partie des laits spéciaux est arrivée, ainsi que des vêtements qui seront bien utiles aux orphelins. Les tenues de travail seront très appréciées par les hommes à l'atelier; d'ailleurs, depuis plusieurs semaines, ils ont demandé s'ils en recevraient bientôt, leurs tenues commençant à être usées.
Un grand merci à vous tous pour votre aide si précieuse ici! Depuis de nombreuses années, vous avez à coeur ces orphelins de la région d'Abéché et bien des enfants ont pu être sauvés grâce à vous. Ah si vous pouviez voir ces grand-mères reconnaissantes, ces sourires, ces enfants qui grandissent et s'épanouissent dans leur famille grâce à l'aide qu'ils ont reçue! 
Tout à l'heure, un papa est venu avec ses deux jumelles orphelines qui ont maintenant trois mois. Il y a un mois, nous les avions visitées dans leur village en brousse, à environ 100 km. de pistes d'ici (c'est à dire 5h de route) et depuis, elles ont pris plus d'un kilo et sont en pleine forme. La soeur du père leur donne même le sein, bien qu'elle n'a pas de lait!

Vous avez certainement eu des nouvelles de Matadjénné par les Horala qui ont fait un bon travail là-bas. Le dispensaire marche bien maintenant et un aide-soignant de l'Etat y a été affecté. Nous espérons trouver bientôt un infirmier qui est prêt à s'installer à long terme à Matadjenné avec sa famille, tout en étant conscients que ce n'est pas un endroit facile pour qui n'est pas né là. Il n'y a pas beaucoup d'eau et certains puits sont presque à sec...

Toute l'équipe se joint à moi pour vous remercier de tout coeur et vous souhaiter une très bonne soirée.

Agathe.

Abéché, le 16 mars 2002

Chers Membres de RAD,

Avec ce petit rapport, nous aimerions vous remercier pour tout votre soutien dans notre travail à Bakan Assalam. Sans votre aide, ce travail ne pourrait pas fonctionner normalement.

SMI

Depuis le mois de janvier, nous avons admis une quinzaine d'orphelins à la SMI. Un après-midi, nous avons pris en charge 4 nouveaux cas. Il est rare que nous admettions plusieurs orphelins dans une journée mais les familles sont venues l'une après l'autre. Le dernier enfant était une petite fille d'une semaine, apportée par son père, car sa mère était décédée à la suite de l'accouchement. Le père était encore très jeune et il est venu seul, sans femme qui pourrait s'occuper de l'enfant. Après une longue réflexion, nous avons admis cette petite fille à la pouponnière. Elle était très malade, avait une forte fièvre et une toux et il était trop risqué de la laisser rentrer dans son village, en brousse. Le père est aussi resté chez nous pour une nuit car il était inquiet pour sa fille. La petite est restée presque un mois et nous avons bien expliqué au père que c'est lui qui a la responsabilité de cette enfant et qu'il devait trouver une femme pour s'en occuper. Il a bien pris sa responsabilité et il est revenu la chercher après quelques temps. Kaltam va bien maintenant, elle a bien grossi et la grand-mère était toute contente de la prendre à la maison.
Pendant le mois de février, nous n'avons pas fait de sorties en brousse, car Carmen Weise était en vacances et Doris Lotz était seule pour le travail médical. Agathe Burrus est revenue de congé en février. Nous sommes heureux de son retour. Elle a repris le travail à la SMI (consultations) et à la pouponnière. Elle va aussi s'engager dans la formation des matrones, ce qui devrait diminuer la mortalité maternelle suite aux accouchements.

Pouponnière

A la pouponnière, nous avons quelques enfants, qui ne sont pas tous malades. Il y a par exemple le petit Khalil, un garçon abandonné, qui a été retrouvé à côté d'un marché près d'Adré. Il a été amené chez nous car il était malade et ne voulait pas boire. Maintenant il a presque 4 mois et nous attendons sa mère adoptive qui doit venir le chercher.
Gisma est, semble-t-il, une petite orpheline. Nous ne sommes pas sûrs si elle l'est vraiment. Car sa famille ne la veut pas. La famille l'a placée chez une " tante " en ville mais cette femme l'a presque laissée mourir de faim. Vu la situation, nous l'avons admise à la pouponnière jusqu'à ce que une bonne solution soit trouvée. Malheureusement, personne de la famille n'est venu la voir. Nous espérons que la famille viendra bientôt et que nous pourrons trouver une femme qui s'occupe bien d'elle. Nous n'avons pas toujours des cas faciles à la pouponnière, mais nous sommes reconnaissantes pour chaque enfant qui retrouve la santé et qui peut réintégrer une famille qui l'aime, et qui évolue dans de bonnes conditions et qui grandit bien.

Abéché, Bakan Assalam, le 9 février 2002

Chère Mary Elen,

Comment allez-vous? Ca fait longtemps que nous n'avons plus rien entendu de vous. Mais je pense que tout va bien chez vous.
A Abéché tout va bien! Nous avons beaucoup de va-et-vient en ce moment. Marcel Obry est venu pour aider à la construction de la bibliothèque. Carmen Weise est en vacance en Allemagne. Agathe vient d'arriver à N'Djamena et elle va monter le lundi prochain. Je suis contente de la voirencore avant que je rentre. En plus il y a un couple suisse qui va arriver la semaine prochaine. Ils vont rester pour 6 mois pour apprendre l'arabe. Eh oui, en ce moment nous sommes vraiment occupés avec la case de passage et les arrivées. Mais c'est bien comme ça. J
Les Horala's sont à Matadjéné. Nous espérons qu'ils vont venir ce week-end.Ca fait déjà un mois qu'ils sont là-bas et nous avons seulement entendu qu'ils vont bien et qu'ils ont beaucoup de travail. Ils n'ont pas encore installé la radio et nous n'avons aucun moyen de les contacter. Mais ils ont une voiture à Matadjéné et ça, c'est déjà bien et ils ne sont pas seuls.
Sinon, je n'ai pas beaucoup de nouvelles. Je t'envoie aussi une petite histoire. Et à bientôt.

Doris


Le préscolaire


Depuis 6 ans, nous avons débuté le préscolaire pour des enfants de notre quartier. Il y a 50 enfants de 4 et 5 ans qui viennent 5 fois par semaine pour apprendre à lire, à écrire, à compter et bien sûr pour jouer ensemble.
Les cours sont bilingues arabe et français. Chaque année nous accueillons deux ou trois enfants orphelins ou des cas sociaux d'Abéché auxquelles nous payons l'inscription, les vêtements car leurs familles n'en ont pas les moyens.
Cette année, l'école a commencé pour Sâkin et Abdoulaye qui ont tous les deux 4 ans. Sâkin est un petit garçon orphelin, dont la mère est décédée quelques semaines après l'accouchement. La tante de Sâkin qui avait elle-même un enfant de quelques mois à ce moment là, a pris ce petit garçon en charge et elle l'a allaité. Le mari de cette femme l'a quittée car il ne voulait pas qu'elle allaite Sâkin, mais elle ne voulait pas abandonner le fils de sa sœur. Nous aidons cette femme de différentes manières ce qui fait que nous avons toujours des contacts avec elle. Au début Sâkin était très timide, même peureux et il ne s'exprimait pas. Après 4 mois d'école, il commence à s'ouvrir et à jouer avec les autres. Sa tante nous a dit qu'il demande même à aller à l'école. C'est beau de voir comme il a changé.

Abdoulaye n'est pas un orphelin mais nous l'avons quand même suivi comme s'il l'était, car sa mère est folle. Elle l'était déjà avant la naissance d'Abdoulaye et elle l'a complètement rejeté. Ce petit est resté chez sa tante qui avait 12 ans quand elle a commencé à s'occuper de lui. Elle a arrêté d'aller à l'école pour son neveu. La mère d'Abdoulaye ne va pas mieux, elle est enchaînée chez eux à la maison et son fils a peur d'elle, car elle l'a souvent battu et maltraité. Grâce à sa jeune tante, il a bien grandi, va bien et évolue normalement. Elle l'amène chaque matin au préscolaire et elle le reprend à midi, elle est comme sa mère!

Nous sommes reconnaissants que les deux garçons aillent bien et qu'ils ont du plaisir à venir au préscolaire. Ils ont fait déjà beaucoup de progrès depuis qu'ils vont à l'école et nous sommes curieux de savoir ce qu'ils deviendront un jour.

Abéché, le 15 Janvier 2002
Quels repères ?

Chers tous,

Me revoilà ! Eh oui, ça faisait un moment ! me direz vous… Mais je vous avoue que l'exercice de la lettre de nouvelle est relativement ardu. En effet, il s'agit de résumer quelques mois en quelques lignes… intéressantes et originales si possible. Alors comme j'ai un peu de temps devant moi, je me prête volontiers au jeu, espérant qu'il vous donnera satisfaction ou a défaut, réflexion.

Nous sommes aujourd'hui le 15 janvier et comme vous l'aurez compris, il fait ici un soleil radieux que seul vient troubler la bise glaciale du matin (seulement 10°C avant hier). Je vous entends rigoler… glaciale ? 10°C ?
Eh…., mais c'est qu'il faut replacer tout cela dans son contexte ! Peut être qu'il faisait -20°C en France il n'y a pas si longtemps, mais quelle température faisait il donc dans votre chambre à coucher, dans votre salle de bain ou a l'intérieur de votre doudoune ? ici, lorsqu'il fait 10°C à l'extérieur, il en fait peut être 12 ou 13 dans les cases de brousse et l'eau de la douche (pardon, ici on appelle cela le bain) ne se réchauffera qu'au contact de la peau !!!
Pour ce qui est des vêtements, chacun sort ce qu'il a de plus chaud. Les uns empilent les t-shirts et les autres plus chanceux se trémoussent dans leur doudoune aux accents usés et colorés… les plus pauvres, en particulier les femmes n'auront qu'un laffaï pour habit. Il s'agit d'un grand voile dans lequel elles s'emballent au mieux la journée et faute de mieux s'y recroquevillent la nuit… c'est qu'elles doivent être longues les nuits dans cette maigre couverture à écouter le vent caresser la chaume éparse des plus modestes cases… Mais bon, ne pleurons pas, c'est la vie ici et chacun s'en accommode avec plus ou moins de succès. Ne vous inquiétez pas pour moi non plus, je dispose à souhait de couvertures et ne souffre pas du froid.
Ce petit exemple pour vous montrer que des températures tout à fait anodines peuvent cacher une situation réellement difficile. Il s'agit en fait pour comprendre la situation de replacer les choses dans leur contexte.
En termes mathématiques, on pourrait dire que l'on ne passe pas simplement de la France au Tchad en conservant les mêmes repères et en translatant simplement l'origine de 6000 km. En fait, avec le changement d'origine, c'est aussi un changement complet des dimensions qui forment ce repère !
Pour ceux un peu moins familiers avec les mathématiques, cet exemple vous parlera peut être davantage. Supposons que l'on vous dépose une après-midi avenue des Champs Elysées et que le soir venu l'on vous demande si vous avez vu passer un 4x4 rouge… probablement que vous n'en aurez pas la moindre idée. Si par contre, l'on vous pose la même question après que vous ayez passé une après midi sur le tronçon de route qui relie Rakana à Torani et où l'on voit moins d'une voiture par semaine, vous aurez une toute autre réponse. Non seulement vous connaîtrez la réponse exacte, mais si voiture il y a eu, vous saurez même qui la conduisait et qui étaient les passagers !
L'attention que l'on porte ici aux voitures est nettement plus importante qu'à Paris ! En poursuivant sur cette lancée, et au vu de ce que j'ai appris à ce jour, j'aimerais vous donner quelques clés pour faire bonne figure dans l'espace tchadien.
· Faddal !

On pourrait traduire cela par " prends place ", " entre ". C'est donc un mot que l'on entend fréquemment lorsqu'on visite quelqu'un et qu'on se tient sur le seuil de la porte. Mais cette invitation vaut aussi lorsqu'on vous présente une chaise ou lorsqu'on vous invite à prendre place autour de la boule de mil. Encore ce même mot si l'on décèle que vous voulez parler et que vous n'osez pas le faire… Le français attribuerait volontiers un mot différent pour chacune de ces situations alors qu'ici on n'entend guère que ce " faddal ". Pauvreté du langage ? Peut être, mais les mots " assieds toi " ou " parle " ou encore " viens manger " existent bel et bien et sont pourtant peu utilisés…
C'est peut être que ce " faddal " constitue plus qu'un mot, peut être un état d'esprit, celui d'inviter l'autre à participer pleinement à la même activité que moi : manger si je mange, s'asseoir si je suis assis, entrer dans ma maison si j'y suis ou encore parler si je suis prêt à l'écouter. Faddal, c'est en quelque sorte informer mon hôte que je suis réceptif à sa présence et que je désire lui faire une place dans le moment que je suis en train de vivre, peu importe ce qu'est ce moment en fait. C'est donc une invitation au partage, un " prends place " non sur une chaise, mais dans l'instant que je suis en train de vivre.
L'invité le comprend bien. Si vous êtes assis sur une natte à écouter de la musique et lancez ce " faddal " à quelqu'un, il va s'asseoir à côté probablement dans la même posture que vous et écoutera la musique, comme vous sans entamer le dialogue. Ce sera le plus souvent à l'hôte de signifier qu'il désire changer d'activité en entamant le dialogue.
Cet exemple pour vous témoigner de l'importance de la notion du partage. Ici, on partage tout (et pourtant, on a bien souvent peu).
· la concession : on y invite membres de la famille éloignée, habitants du même village, amis ou encore nécessiteux qui logeront un temps avant de trouver autre chose. Quel incompréhension pour les tchadiens lorsque je leur ai expliqué qu'en France chaque hiver des personnes mourraient de froid faute d'avoir un toit… Comment ? ici, si quelqu'un est sans abri la nuit venue, il rentre dans une case et reste jusqu'au matin.
· le repas. Autour de la boule, tous se réunissent et trempent leur morceau dans la même sauce, pas de régime sans sel ou avec davantage de poivre…. Chacun la même sauce ! chacun le même statut !
La liste serait encore bien longue. A un autre niveau, les condoléances sont aussi un modèle de partage. Moment privilégié, les membres de la famille ou amis proches du défunt rendront condoléances pendant un, deux ou trois jours à celui qui a perdu l'être cher. Trois jours, assis sur une natte, la plupart du temps sans parler, mais en s'associant à la douleur de celui qui souffre et en partageant avec lui ces instants. Les amis plus éloignés viendront également parfois un à deux mois plus tard (selon les moyens de transport lorsqu'il y a éloignement…) passer une heure sur la natte avec celui à qui il manque quelqu'un, puis repartir sans forcément avoir échanger beaucoup de mots.


· Salamah katir

Mot à mot, c'est " Salue le beaucoup !!! ". C'est cette recommandation que m'a laissée ma marchande de légumes préférée (rassurez vous, elle à plus de 60 ans :-) lorsque je suis rentré en congé en France cet été, recommandation à adresser à toute ma famille, en particulier mes parents ! Etonnant non, que cette grand-mère me demande de transmettre ses salutations à des gens qu'elle ne connaît pas du tout et dont elle ne sait presque rien…
En auriez vous fait autant ? Mais ici, cela se justifie pleinement. Adresser à quelqu'un ses salutations, c'est lui porter du respect, c'est le " minimum " à faire.
Passer à côté de quelqu'un que l'on connaît sans prendre le temps de le saluer, c'est réellement lui faire insulte, affront. Celui là interprétera que je suis fâché avec lui ou qu'alors je n'ai aucune considération pour lui. Ce matin, encore, notre maçon est venu me trouver (moitié en plaisantant) pour me demander si je n'avais pas un problème dans ma tête (traduction mot à mot) parce que je n'étais pas venu le saluer comme à l'habitude. Personne n'imagine pouvoir se rendre sur son lieu de travail sans saluer ses collègues, même si cela devait prendre une bonne demi-heure. C'est une priorité à laquelle on ne coupe pas !
Le dialogue, ici est quelque chose de beaucoup plus important qu'en France. Il est la base de tout. Si vous achetez à crédit, vous ne signerez aucune reconnaissance de dette (sauf montant énorme) mais engagerez votre parole. Et probablement qu'un an plus tard, votre créditeur se souviendra très précisément du montant qu'il vous a prêté ! un autre exemple serait celui du gars qui vous tapote sur l'épaule au marché. Vous vous retournez… de quoi s'agit il ? Eh bien de quelqu'un avec qui vous avez discuté deux ou trois mois auparavant à l'autre coin du Tchad et qui souhaitait vous saluer parce que justement il vous a reconnu ! On ne connaît pas quelqu'un par son nom de famille, profession et statut social tels que les mentionnent les cartes de visite française, mais plutôt par une caractéristique physique qui nous a frappé.
" - Tu connais Mahmout Saleh ?
- Le court ?
- Non, il est long
- Ah, alors c'est celui qui est un peu clair ?
- Oui, voilà, c'est ça ! "
C'est impressionnant de voir le nombre de personnes que chacun connaît, sans bien sur aucun calepin d'adresses !

Semeh ! addil marrawahid !!!

En gros, quelque chose comme super, génial!!! C'est ce que j'entends fréquemment quand je me promène avec mes sachets de semences maraîchères et que je les présente aux différents " jardiniers " du coin.
Des carottes ? Semeh !!! Des salades ? Addil et la liste serait longue… Alors vous imaginez bien que moi je suis tout content de voir les gens si intéressés par ces semences.
Du coup, je leur explique les bases pour bien les cultiver ; ils m'écoutent avec calme et intérêt ! Je leur parle du prix, ils hochent la tête avec approbation, effectivement, c'est moins cher qu'ailleurs. Alors, affaire conclue ? et c'est là qu'ils me regardent un peu gênés… " hassa, gurus ma fi… " (maintenant, je n'ai pas d'argent) et la traditionnelle demande : est ce qu'on peut acheter à crédit ?
Choix difficile. Je sais bien que si je fais crédit, il y a une bonne probabilité que je ne retrouve jamais la somme demandée. D'un autre côté, si je ne le fais pas, ils ne planteront pas ces légumes… et puis, ils semblent si intéressés… Que faire ?
Après divers essais, je me suis rendu compte que les semences vendues " à crédit " ou données produisaient en général des moins bons résultats que les semences payées comptant…Quelle explication à cela ?
Eh bien peut être bien que l'intérêt des mes chers jardiniers est proportionnel non à leur dialogue, mais à l'investissement financier qu'ils sont prêts à mettre… Parfois, j'ai l'impression qu'il s'agit pour eux d'un habile jeu de comédien qui leur permettra de convaincre ce cher blanc qu'ils sont très intéressés et très prêts à travailler, mais qu'il leur manque juste la somme de départ pour réaliser tout cela. Jouant ce jeu là, ils savent qu'ils auront à prix réduit la marchandise présentée. Peut-être aussi qu'ils ne veulent pas me frustrer. C'est vrai quoi, voilà un blanc tombé du ciel (ou du moins de sa voiture) qui se ballade là ou il n'y a pas de routes, sort de sa voiture avec un carton de semences venues d'on ne sait trop où, raconte une histoire dans un arabe de blanc et à la fin demande encore de l'argent… Bref, la politesse veut qu'on l'écoute, lui fasse quelques sourires et le remercie gentiment quand il s'agit de sous.
Au contraire, ceux qui sont prêts à mettre la main à la poche réalisent un réel investissement qu'ils poursuivront quasi sûrement en travaillant dur.
C'est parfois un peu frustrant pour moi de dialoguer avec mon jardinier en sachant que ce n'est que lorsque nous serons sur le point de nous quitter que je saurais s'il est réellement intéressé, c'est à dire s'il sortira un billet de sa poche pour acheter la précieuse semence… De plus, c'est très important de ne pas placer l'autre dans uns situation difficile. Ricaner lorsqu'il me dit ne pas avoir d'argent, ou le regarder en pensant " il est gonflé celui là ", c'est réellement l'humilier… au contraire, il est plus juste de manifester du respect.
Pas d'argent ? Très bien, mais comme je sais que tu es intéressé, tu peux te rendre à l'orphelinat dès que tu auras de l'argent pour venir acheter les semences. L'autre accepte volontiers et nous nous quittons la tête haute, chacun promettant à l'autre de faire de son mieux !


· Yom assal, yom bassal

Mot à mot : "jour de miel, jour d'oignons". Même traduit, ça ne vous dit rien comme proverbe ? Bon, vous êtes pardonnés, certainement que personne d'entre vous n'a cultivé les oignons comme on le fait ici !
Parce qu'il s'agit de les semer, repiquer, désherber et arroser abondamment, matin et soir, pendant leur période de culture, à savoir la saison chaude !!! C'est donc un travail pénible. Le miel, c'est par contre, l'aliment précieux et raffiné par excellence. On en trouve très peu ici et il se vend à bon prix, contrairement aux oignons, composant de base des sauces.
Voilà donc un proverbe bien imagé qui exprime qu'il peut s'agir d'un jour facile ou d'un jour difficile. Cela peut nous rappeler nos bons proverbes " paysans " ou l'on fait référence à la terre ou aux cultures pour exprimer bien des états.
Ici, le langage de la terre est omniprésent. Chacun se soucie de ce qui se cultive et chacun devient cultivateur lorsque la saison des pluies approche. Ça commence par notre maître d'école qui souhaitait reconvertir le terrain de jeu de l'école maternelle en champs de mil l'été passé ! Qui penserait chez nous à semer de blé au beau milieu d'une école maternelle ?
Mais ici, on attache beaucoup d'importance à cultiver son propre mil, à pouvoir se nourrir par soi même. Peut être aussi parce que le réseau routier n'est pas celui que l'on peut connaître en France et que la circulation des marchandises en tout temps est un concept des plus flous. Après la mauvaise récolte de mil en 2000, nous avons assisté à une réelle flambée des prix d'Avril à Août dernier, le mil atteignant 400 francs français pour un sac de 80 kg, soit plus de 3 fois le cours actuel. Cet argument aide à comprendre que beaucoup préfèrent avoir du mil en stock plutôt que de l'argent au pouvoir d'achat assez fluctuant…

· Ag'odu afe

Salutation traditionnelle de celui qui s'en va pour souhaiter à ses vis à vis de " bien rester " là ou ils sont. Vous l'aurez compris, voilà venu le temps pour moi de terminer cette lettre. J'espère qu'elle vous aura fait sentir un peu du parfum africain et vous donnera goût à en apprendre davantage sur les pays situés à plusieurs journées de chameaux de Paris.
Merci pour vos prières et vos marques de soutien dans ce séjour au Tchad !


Alexandre

Janvier 2002

" Boutons la poliomyélite hors du Tchad ! "


Ce mois de janvier aura vu s'achever les 8ème journées contre la poliomyélite organisées autour de ce slogan : " Boutons la poliomyélite hors du Tchad !!! ". Pendant cinq jours, les véhicules vont sillonner le Tchad pour accomplir cette grande campagne de vaccination.
Mais la tâche n'est pas aussi aisée que ce slogan le laisse penser et il ne s'agit pas simplement de donner un grand coup de poing. Il faut plus de doigté.
Notre véhicule s'engage dans la zone de Torani. Sous la commande de David, l'infirmier, et de Seïd, le chauffeur, l'équipe de vaccinateurs entame sa tournée. Quelques secousses plus tard, l'équipe s'installe sur la place du village à l'ombre du grand acacia. Les villageois regardent, un peu interrogatifs ce défilé peu coutumier. En quelques mots, ils comprennent qu'il s'agit de la vaccination et cherchent leurs enfants pour les amener. Les enfants se tiennent à distance, observateurs et patients. Un plus intrépide s'approche et reçoit dans sa bouche les deux précieuses gouttes qui procurent l'immunité. Les autres, plus détendus s'approchent. Tous n'aiment pas ça. Certains font la moue, d'autres éclatent en pleurs alors qu'on les force à venir, d'autres encore en redemandent…
Comme les enfants ne disposent pas de carnet médical, tous sont systématiquement vaccinés, pour la première ou cinquième fois, qui sait ?
" Ça y est, plus personne ? "
Zenoussi remet le précieux liquide dans sa glacière. David tient les compte et inscrit minutieusement le nombre d'enfants vaccinés.
" On en est à 1401, un peu plus de la moitié, je pense. Continuons, il y a encore trois villages à visiter avant la nuit si nous voulons faire nos 7 villages quotidiens! ". Seïd démarre le véhicule et jette un coup d'œil au compteur qui affiche 300 km tout rond. Quelques minutes plus tard, on ne voit plus que la poussière en suspens de cet étrange véhicule venu d'ailleurs et sous l'ombre du grand acacia, les chèvres ont remplacé les enfants. Le soleil et ce fameux véhicule poursuivent chacun leur course…

Doris

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